Expérimenter le chantier participatif : à la découverte de l’enduit terre chaux (2/2)

Hugues Verneau Articles écoconstructions

Comme évoqué dans le dernier article paru sur le sujet, la terre crue n’a maintenant plus de secrets pour vous !

Ressource omniprésente sur notre belle planète, elle pourrait même couvrir une partie significative des besoins de logements et équipements, tant dans les pays émergents qu’industrialisés.

Ça donne à réfléchir n’est-ce pas ?

Afin de comprendre plus précisément ce que nous pouvions réaliser grâce à ce matériau aux logiques de construction plurielles ; je me suis rendue quelques jours sur un chantier participatif avec pour invité d’honneur, l’enduit terre chaux sur façade en pisé.

Pour découvrir la réhabilitation d’un domaine unique et les modes d’emploi de cette technique de revêtement, c’est par ici !

L’auto construction ou la réhabilitation, un processus d’appropriation

Construire ou réhabiliter autrement, à son image

Comme en témoignent de multiples projets architecturaux primés, de récents ouvrages[1]222, l’expérience personnelle que j’ai retirée de divers chantiers participatifs ou encore les formations proposées chez Ghara, les alternatives écologiques à la construction dite jusqu’alors « conventionnelle » sont de plus en plus nombreuses.

Ou du moins reviennent dans nos usages, car ne l’oublions pas, ces techniques sont ancestrales et étaient largement utilisées il y a déjà plusieurs siècles.

Paille, terre crue, pierre de taille, bois, chanvre, roseau ou matériaux de réemploi, toutes ces alternatives à la culture « tout béton » du siècle dernier se sont redéveloppées ces dernières années.

Selon les auteurs du livre Le tour de France des maisons écologiques, « il existe aujourd’hui presque autant de solutions constructives alternatives que de territoires particuliers, de savoir-faire locaux et de constructeurs singuliers. » [2]333

Finalement, pour quiconque désire construire autrement, la première difficulté consiste à savoir vers quelle technique s’orienter.

En effet, après plus d’un demi-siècle au cours duquel l’habitat est devenu un produit de consommation standardisé et livré clés en main.

Comment mesurer les ambitions de son habitat conciliant à la fois ses désirs personnels et les exigences environnementales ?

Ouvrage sur l'auto construction "Le Tour de France des maisons écologiques"
« Le tour de France des maisons écologiques »

Un ouvrage intéressant sur l’auto construction et les matériaux biosourcés

Construire ou rénover soi-même, en s’inspirant des techniques ancestrales

L’une des idées les plus prometteuses pour tendre vers des enjeux écologiques à l’échelle bâtie se situe peut-être là où on s’attendrait pas : dans le passé.

Si le béton a dominé le monde occidental du bâtiment tout au long du XXe siècle, nous avons avant lui, construit solide, beau et intelligemment durant des millénaires.

Rien qu’en France, il existe un patrimoine bâti d’une diversité exceptionnelle souvent méconnue : peu de gens savent par exemple qu’entre Grenoble et Lyon, on compte encore plus d’un million de bâtiments en terre crue construits sur le principe du pisé.

Plusieurs techniques ancestrales comme celle-ci, longtemps oubliées car incapables de rivaliser avec le béton dans la course effrénée à la « modernité » du siècle passé, sont aujourd’hui redécouvertes.

Ne nous méprenons pas pour autant, il ne s’agit en aucun cas de revenir à une architecture primitive ni de revoir à la baisse nos exigences de confort.

Le défi consiste plutôt à adapter ces techniques ancestrales pour en tirer le meilleur parti grâce à nos outillages modernes ou nos nouvelles connaissances en matière de bio climatisme.

Par ailleurs, la culture du « faire soi-même » connaît depuis plusieurs années un engouement sans précédent :

  • se déplacer à vélo à la seule force de ses jambes,
  • réapprendre à cuisiner,
  • à bricoler et réparer des objets du quotidien etc..

A l’échelle architecturale, il n’est cependant pas simple de s’engager de A à Z dans la construction ou réhabilitation, avec ou sans extension, de son futur habitat.

Les limites sont tant pratiques que psychologiques : manque de temps libre, cadre réglementaire complexe, enjeux financiers, manque de savoir-faire…

Toutefois, il semblerait que les choses soient en train d’évoluer.

L’auto construction serait potentiellement en train de devenir un medium de construction à part entière, et ce notamment avec l’aide des chantiers participatifs.

Ces modèles se multiplient en effet ces dernières années, comme c’est le cas du réseau Twiza, et permettent de mettre en lien bénévoles, artisans et propriétaires afin de réaliser des projets en auto construction.

La mise en œuvre de l’enduit en terre : quelques caractéristiques

L’enduit terre, késako ?

Colorés, texturés, mats ou brillants, décoratifs ou même techniques, les enduits en terre crue sont utilisés pour répondre à une large palette de besoins.

Leur fonction principale va consister à protéger les ouvrages en terre crue de l’usure et des intempéries.

C’est par ailleurs la technique de mise en œuvre la plus pratiquée dans le monde.

Au Japon, où la transmission du savoir-faire s’étend sur de longues années, la réalisation des enduits en terre crue est d’une finesse inégalée tandis qu’en Afrique, la pose est collective et source d’entraide.

En Europe, ces enduits sont de plus en plus appréciés des concepteurs comme des usagers, en recherche d’un revêtement sain, agréable et apportant du confort au quotidien.

Finalement, les enduits en terre sont comme la peau sensible des édifices, teintée d’une forte identité et que l’artisan peut façonner telle une œuvre d’art.

Maison des femmes, Ouled Merzoug, Maroc, 2019. © Thomas Noceto
Maison des femmes, Ouled Merzoug, Maroc, 2019. © Thomas Noceto

Une multitude de finitions et des textures à l’infini

Les enduits en terre offrent des possibilités de teintes et de textures très variées.

Le mortier frais de terre peut par ailleurs se travailler très aisément du fait qu’il durcisse lentement.

Si ces enduits sont généralement appliqués à l’aide des outils couramment utilisés pour le plâtre ou la chaux ou même directement à la main[3]444, ils peuvent également être posés avec des outils spécifiques comme :

  • des lisseuses souples pour une surface sans aspérités,
  • des taloches éponges pour au contraire faire ressortir les grains ou les fibres
  • ou encore des couteaux pour marquer la terre de motifs géométriques.

Cette couche de finition, parfois très fine, vient recouvrir un corps d’enduit plus épais.

A savoir également qu’en fonction du type de support, une couche d’accroche ou gobetis peut être nécessaire pour garantir une bonne adhérence.

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<p>L’architecte et artiste Isabella Breda réalise des enduits décoratifs à partir de légères empreintes de motifs géométriques. © Isabella Breda
L’architecte et artiste Isabella Breda réalise des enduits décoratifs à partir de légères empreintes de motifs géométriques. © Isabella Breda

Un potentiel esthétique et technique

Au-delà de ses qualités esthétiques exceptionnelles, un enduit en terre d’une épaisseur de seulement quelques centimètres, appliqués sur une grande surface, suffit à réguler l’hygrométrie intérieure d’une pièce, apportant un confort notable pour ses usagers.

S’il est bien réalisé, il garantit aussi l’étanchéité à l’air de la paroi qu’il recouvre et apporte une protection contre le feu.

Sur le plan normatif, certains récents ouvrages se caractérisent sur la bonne pratique de l’usage de la terre crue et deviennent ainsi des référentiels sur des pratiques jusqu’alors non intégrées dans les normes.

Ceux-ci préconisent notamment de suivre un protocole de validation de la composition de l’enduit grâce à des tests sur chantier.

Et sur le chantier alors, comment ça se passe ?

A la découverte du domaine : un mariage de matériaux traditionnels

Rendons-nous d’abord au domaine du Colombier, propriété d’Alain et Sophie depuis 3 ans.

Tous deux, anciennement opticiens, sont en reconversion et s’investissent aujourd’hui pleinement dans ce projet en louant le domaine pour des évènements privés, notamment des mariages mais aussi des anniversaires ou des séminaires professionnels.

Ce couple sympathique a coorganisé ce chantier participatif avec Thierry Baruch, ancien enseignant et aujourd’hui formateur au sein de l’organisme qu’il a créé du nom de Formaterre.

Sur la fin du trajet pour rejoindre le domaine, les petites routes se succèdent, de plus en plus étroites et bordées tantôt de vastes prairies, de végétation abondante ou encore d’étangs avec quelques grues s’envolant sur mon passage.

Le cadre promet d’être bucolique !

Domaine de Colombier

A peine arrivée sur place que la poésie du lieu opère.

Bordée du triptyque pré-bois-étang, l’ancienne ferme en pisé se détache du paysage avec sa typologie en U.

L’ensemble bâti offre un camaïeu de teintes ocres, beiges et brunes correspondant à l’usage des matériaux traditionnels que sont le pisé, le bois, les tuiles ou encore les appareillages de briques de part et d’autre de certaines ouvertures.

Pour ma part, ce sera ma première expérience de chantier participatif. Me voilà sur les lieux, les autres bénévoles arrivant à ma suite.

Une fois accueillis par les propriétaires et Thierry, nous entamons les présentations au soleil, un café et une viennoiserie à la main : la journée promet d’être conviviale et riche en apprentissage.

Préparer l’enduit et la façade : quelques conseils de l’expert Thierry Baruch

Les terres à enduire sont multiples et leur choix dépend de leur usage : « Le corps d’enduit, appliqué en couche épaisse, est argileux et contient des sables et des graviers fins.

Les terres les plus fines sont, elles, utilisées pour les finitions délicates de seulement quelques millimètres d’épaisseur. […]

Elles sont souvent tamisées puis mélangées à d’autres grains ou à des fibres végétales minutieusement hachées.

Il existe ainsi mille et une recettes d’enduits composées à partir de terre, de fibres, ou de stabilisants d’origine animale ou végétale. »[4]555

Cette étape de préparation, nous nous en sommes rendus compte sur le chantier participatif, demande un savoir-faire spécifique et s’accompagne de plusieurs essais préparatoires.  

 Façades en pisé

Quelques explications avant de mettre les mains dans la terre © Orlane Huitric

Ici, à Sandrans, les façades du domaine sont en pisé. Selon Thierry qui nous encadre, nous les bénévoles, le plus important consiste à damer l’extérieur.

Même si apparemment le pisé n’a a priori pas nécessité à être enduit puisque la présence stratégique d’un cordon de chaux à chacune des strates arrêterait la gouttelette d’eau.

Ici, il s’agit de redonner une régularité et une esthétique aux façades.

Appliqué à la main puis à l’aide de différentes taloches, l’enduit terre vient habiller le pisé et le protège dans le temps contre les intempéries tout en laissant le mur respirer.

Les enduits ont été réalisés avec de la terre crue locale.

Ils permettent une régulation hygrométrique naturelle et une excellente qualité d’air lorsque ceux-ci sont aussi appliqués à l’intérieur.

« Une maison, à l’image d’un corps humain, organise les interfaces entre extérieur et intérieur.

En comparaison, ces échanges se matérialisent par différents transferts.

Pour gérer cette interface, les enduits en terre crue, à la manière d’un épiderme, organisent les flux de température et d’humidité propres à l’utilisation d’une maison. »[5]666

La mise en œuvre de l’enduit terre : les étapes à suivre

Cela peut paraître étonnant mais il ne s’agit pas de mettre en œuvre l’enduit dès le premier jour malgré l’ampleur du chantier.

En effet, au vu de l’irrégularité du pisé en façade, il va d’abord falloir préparer ce qu’on appelle un « reformi ».

Celui-ci va permettre de boucher, combler les trous du mur en pisé accidenté pour ensuite faciliter la pose de l’enduit terre chaux.

Thierry nous présente la recette du reformi chènevotte que nous préparons puis appliquons sur le pisé en respectant scrupuleusement le nombre de seaux indiqués pour chaque ingrédient.

Composé de terre de Commelle, de chènevotte[6]777, de sable et de chaux, ce préenduit a donc pour but de faciliter la pose de l’enduit de finition.

Il permet de lisser toutes les imperfections apparentes au moment de la construction afin d’obtenir un enduit de finition plus lisse.

Une étape très importante car selon lui : « La préparation du support c’est 70 % du boulot : ce n’est pas avec la peinture ou l’enduit qu’on rattrape les creux, bosses, trous ou autre imperfections de la façade. »

Ainsi, si on a l’ambition d’une façade / enduit lisse, l’usage de reformi avant l’application de l’enduit de finition est plus que recommandé.

Mais il est aussi possible de choisir une mise en œuvre d’enduit plus « organique », avec un rendu légèrement ondulé qui donne une certaine esthétique visuelle.

Application du reformi chèvenottes par boulettes

Après un peu plus d’une journée passée à mettre en œuvre le reformi, nous découvrons également le principe du gobetis.

Certaines séquences d’un mur à l’arrière sont en effet constituées de parties cimentées.

Il est donc nécessaire d’y apporter de la porosité pour créer une accroche en vue de l’application de l’enduit terre le lendemain.

Le gobetis, constitué ici à proportions égales, de chaux, de sable et d’eau, va s’appliquer à la brosse pour dessiner une texture d’accroche.

Si vous avez bien suivi, vous devinerez que ce n’est qu’après ces étapes préliminaires, que pourra s’appliquer l’enduit terre chaux.

Selon Thierry, le meilleur mélange est celui qui va permettre d’obtenir une texture optimale avec un maximum de terre tout en évitant les fissures.

La terre est tamisée puis mise en œuvre à l’état visqueux, avec les mêmes outils que les autres enduits (chaux, plâtre, ciment).

Comme elle durcit lentement, elle est facile à travailler : cette technique est accessible à tous, même aux usagers les moins expérimentés.

Mais pour travailler l’enduit sur façade pisé, il s’agit aussi de trouver l’outil adéquat.

Sur site, nous utilisons sur les conseils du formateur, une taloche à clous, nommée « taloche fakir », qui permet de retrouver un peu de planéité sur un mur initialement irrégulier.

Et voilà, le résultat, après 3 jours de labeur avec une chouette équipe !

Façade Enduit Terre Chaux

La terre crue en chantier participatif : une belle expérience !

Ces 3 jours ont été une expérience à la fois riche d’un point de vue technique mais aussi et surtout humainement :

un chantier participatif permet de rencontrer et d’échanger avec de nouvelles personnes venant généralement de tout horizon.

Vous savez désormais (presque) tout sur la mise en œuvre de l’enduit terre.

N’hésitez pas à vous rapprocher de chantiers proches de chez vous pour expérimenter des techniques similaires ou en découvrir d’autres.

Les formations Ghara sont aussi faites pour ça, pensez à y jeter un œil : old.ghara.fr


[1]L’ouvrage « Le tour de France des maisons écologiques » aborde notamment l’usage de matériaux locaux et géo/biosourcés propres à la région de chaque projet.

[2]STERN Emmanuel, RAGER Mathis, WATHER Raphaël, page 14, « Le tour de France des maisons écologiques », Éditions Alternatives, 2020.

[3]Contrairement au plâtre ou à la chaux, la terre n’est pas corrosive pour la peau.

[4]GAUZIN-MULLER, VISSAC Aurélie, «  Terra Fibra », Pavillon de l’Arsenal, 2022, page 192.

[5]STERN Emmanuel, RAGER Mathis, WATHER Raphaël, page 29, « Le tour de France des maisons écologiques », Éditions Alternatives, 2020.

[6]La chèvenotte est une partie du chanvre, elle constitue la « paille du chanvre ».


ORLANE HUITRIC

Architecte D.E